La Révolution en France établit en 1789 puis en 1793, deux déclarations des droits naturels imprescriptibles. Toutefois, en 1795, la Convention thermidorienne, violant sa propre légitimité, réalisait un coup d’État parlementaire3 en substituant à la Constitution légale de 1793, ratifiée par le peuple, une nouvelle constitution qui, précisément, rompait avec la Déclaration des droits naturels imprescriptibles. Cette rupture a été largement ignorée depuis thermidor : pourquoi ? C’est ce qu’il faut chercher à comprendre. Comment a-t-on pu en venir à soumettre la liberté de l’être humain à celle de l’économie ? Et la conception d’un droit naturel propre au genre humain à la pratique d’un système colonialiste et esclavagiste, cherchant à généraliser sa domination sur le monde ? Si “la modernité” se réduisait à ce système de domination, on pourrait alors se réjouir de sa mise en congé, mais ce n’est pas le cas : elle se poursuit en effet dans des formes de domination renouvelées. Mon propos est de rappeler, à travers l’expérience conjointe des Révolutions des droits de l’homme et du citoyen en Corse, en France et à Saint-Domingue, à la fin du XVIIIe siècle, l’effort tenté pour réaliser un droit humain, capable de conjuguer les droits des personnes, ceux des peuples et ceux du genre humain, et comment cet effort fut combattu jusqu’au point de remplacer ces droits naturels imprescriptibles par les droits de “l’homme du Nord”, en 1795, puis enfin, de supprimer la notion même de droit de l’homme, lorsque le Consulat entreprit, en 1802, de remettre des esclaves, qui s’étaient libérés en 1793 et 1794, en esclavage.

Notes :

(1) MABLY, « Les Entretiens de Phocion », 1763, Œuvres complètes, Desbrières, 1794, t 10, p 157.

(2) Voir H. ARENDT, Sur la révolution, (1963) traduit de l’anglais, Paris, Folio Gallimard, 2012, qui présente la Révolution de 1789 comme un brouillon du stalinisme, puis François FURET, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, qui formulera différemment ce brouillon en matrice des totalitarismes, au pluriel, du XXe siècle ! Voir aussi Yannick BOSC et Emmanuel FAYE (s. dir.), H. Arendt, la Révolution et les Droits de l’homme, Paris, Kimé, 2019, contributions de E. de Barros, B. Basse, M. Belissa, Y. Bosc, C. Fauré, E. Faye, E. Fuchs, Fl. Gauthier.

(3) Françoise BRUNEL, Thermidor. La chute de Robespierre, Bruxelles, Ed. Complexe, 1989, p128.

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Table des matières :

1. La Révolution française contre conquête et esclavage, 1789-1794.
2. La Contre-révolution de Thermidor (1794) à 1804.
3. La reprise de la théorie coloniale de Boissy d’Anglas au XIXe siècle.